J.O. 104 du 4 mai 2007       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Délibération n° 2006-290 du 11 décembre 2006


NOR : ADEX0710271X



Le collège,

Vu la loi no 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;

Vu le décret no 2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;

Sur proposition du président,

Décide :


Article 1


Le collège de la haute autorité adopte le rapport spécial annexé ci-après relatif aux suites données à la délibération no 2006-21 du 6 février 2006 dans le cadre de la réclamation de M. Janton.

Article 2


En application de l'article 11 de la loi no 2004-1486 du 30 décembre 2004, la présente délibération ainsi que le rapport spécial qui y est annexé seront publiés au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 11 décembre 2006.


Le président,

L. Schweitzer



RAPPORT SPÉCIAL


1. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité peut rendre publiques ses recommandations dans les conditions fixées à l'article 11 et suivants de la loi modifiée no 2004-1486 du 30 décembre 2004.

2. La haute autorité a été saisie, le 20 juillet 2005, par M. J. qui estimait avoir été licencié en raison de son état de santé.

3. Monsieur J. était salarié de la société Bouchers Services, dont le siège social se situe à Remilly-Aillicourt (08), depuis le 11 octobre 2000. Son contrat de travail indiquait qu'il exerçait le métier de boucher.

La fiche de poste transmise par son employeur montre qu'il travaillait essentiellement à la préparation des jambons au sein de l'abattoir des Crets (01).

4. Il a été victime d'un accident du travail le 13 mai 2003. Depuis cette date, il a bénéficié d'arrêts maladie successifs.

5. Son employeur l'a convoqué à un entretien préalable au licenciement le 10 juin 2005. Il lui a notifié une lettre de licenciement le 17 juin 2005.

Le motif invoqué est : « Vous êtes en arrêt maladie depuis le 27 septembre 2004, ce qui perturbe notre organisation de travail. »

6. La jurisprudence constante de la Cour de cassation autorise le licenciement d'un salarié en arrêt maladie si celui-ci est justifié par les intérêts de l'entreprise.

7. La Cour de cassation considère que l'article L. 122-45 du code du travail n'interdit pas que le licenciement soit motivé non par l'état de santé du salarié mais par la situation objective de l'entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement d'un salarié dont l'absence prolongée perturbe le fonctionnement de l'entreprise. Le juge contrôle strictement la réunion de ces deux éléments pour motiver un tel licenciement.

8. L'état de santé n'étant pas directement visé, l'avis du médecin du travail n'a pas à être recherché.

9. La présence d'une clause de garantie d'emploi dans la convention collective n'exonère pas l'employeur de l'obligation d'établir la réalité des deux exigences précitées.

10. Malgré l'expiration de la période de garantie, l'employeur doit toujours établir la gêne causée au bon fonctionnement de l'entreprise et la nécessité d'assurer un remplacement définitif.

11. Sur le trouble causé au bon fonctionnement de l'entreprise, l'employeur n'a pas fourni à la haute autorité d'éléments probants.

M. J. ne disposait d'aucune compétence propre que ses collègues ne posséderaient pas. Il n'occupait pas un poste présentant une technicité particulière ne pouvant être assuré que par lui seul.

L'employeur n'a apporté aucun élément pour justifier la désorganisation ou la perturbation causée au sein de l'entreprise par l'absence prolongée de M. J.

12. Le compte rendu de la réunion du comité d'entreprise du 29 juillet 2004 peut apporter un éclairage sur la motivation première de l'employeur. Il y est inscrit : « Les effectifs au 30 juin 2004 sont de 648 salariés [l'entreprise comprend plusieurs établissements]. Les effectifs sont stables depuis plusieurs mois et la direction s'en félicite. Elle annonce néanmoins une baisse pour les mois à venir. En effet, une "épuration dans les effectifs s'impose. Nous avons d'inscrits dans nos effectifs des salariés qui sont absents depuis très longtemps et qui sont improductifs, la direction a donc décidé de se séparer de ces personnes. »

13. Cette déclaration de la direction devant le comité d'entreprise manifeste une politique qui vise à licencier les salariés jugés improductifs, notamment en raison de leur état de santé.

14. L'employeur n'est pas plus en mesure de justifier la nécessité d'assurer le remplacement définitif de M. J.

Dans un contexte de fort roulement du personnel, il est difficile de présenter l'embauche de M. B, comme étant directement liée au nécessaire remplacement de M. J.

15. L'employeur ne réunissant pas de manière probante les deux conditions posées par le juge pour autoriser le licenciement d'un salarié absent pour maladie, il convient de considérer que le motif véritable du licenciement de M. J. n'est pas la désorganisation de l'entreprise imposant son remplacement, mais bien l'état de santé de ce dernier, qui en fait un salarié jugé « improductif » (sic).

16. Ces deux exigences jurisprudentielles n'étant pas réunies, l'article L. 122-45 du code du travail trouve à s'appliquer. Celui-ci déclare nul tout licenciement prononcé en raison de l'état de santé d'un salarié, sauf si l'inaptitude physique a été constatée par un médecin du travail.

17. En conséquence, le collège de la haute autorité a conclu, par sa délibération no 2006-21 du 6 février 2006, à l'existence d'une discrimination fondée sur l'état de santé.

18. Afin de remédier au préjudice causé par cette décision discriminatoire, le collège de la haute autorité a invité la société Bouchers Services à se rapprocher, dans un délai de deux mois, de monsieur J. afin de déterminer les moyens d'assurer une juste réparation.

19. En outre, le collège de la haute autorité a recommandé à la société Bouchers Services de mettre un terme à la pratique constatée qui vise à licencier des salariés en arrêt maladie jugés « improductifs », sans que soient établis le trouble porté au fonctionnement de l'entreprise et la nécessité de procéder au remplacement définitif des intéressés.

20. La haute autorité a recommandé à l'entreprise de définir avec le médecin du travail, la caisse primaire d'assurance maladie, les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et ceux du comité d'entreprise une politique visant les salariés en absence longue pour arrêt maladie.

L'entreprise disposait d'un délai de six mois pour présenter à la haute autorité les actions correctives internes et partenariats externes qu'elle entendait mettre en oeuvre au terme de cette réflexion.

21. A la date du 10 novembre 2006, la haute autorité constate que, malgré plusieurs relances, la société Bouchers Services n'a donné aucune suite aux recommandations émises par son collège le 6 février 2006.

22. La société Bouchers Services ne s'est pas rapprochée du réclamant pour rechercher les modalités d'une juste indemnisation.

23. La société Bouchers Services n'a présenté à la Haute Autorité aucun document décrivant la mise en oeuvre d'actions, interne ou externe, en faveur de la réinsertion professionnelle des salariés en absence pour longue maladie, ni même témoignant de l'engagement d'une réflexion partenariale sur ce thème.

24. La haute autorité constate le silence gardé par la société Bouchers Services et l'invite à suivre ses recommandations visant à réparer le préjudice subi par le réclamant, à mettre un terme à la pratique discriminatoire révélée par ce dossier et à s'engager dans le développement de bonnes pratiques en faveur des salariés de l'entreprise en absence longue pour arrêt maladie.